PAYSAGE ENDORMI / 02
Résidence 11 mars ︎︎︎ 04 avril 2024.Restitution 05 ︎︎︎ 07 avril 2024 / 800 entrées.
Lieu Domaine St-Joseph 13100 Le Tholonet.
Artistes Pierre Ducrozet, Paul Gaillard, Anne Larouzé, Pali Meursault (en partenariat avec LABgamerz), Clémentine Schmidt, Chen-Kang Wang (en partenariat avec l’ESAAix).
Curation Romain Pierre assisté de Fanny Perreau.
Soutiens et partenaires Fondation d’entreprise AG2R LA MONDIALE pour la vitalité artistique, DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, Région Sud, Aix-en-Provence, Le Tholonet, LABgamerz, École Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, Léo Marchutz School of Drawing and Painting, Domaine des Artauds, Secrets d’ici, Aquae Maltae.
Vendredi 22 mars
C’est la nuit. Il pleut à verse. Les restanques sont bombées comme des barriques. Elles grincent, elles suintent. Elles peinent à retenir la colline, qui est déjà gorgée à mort, et qui continue de gonfler, qui pousse encore. Et la montagne, derrière, qui pousse aussi, qui fait pression sur le tout, comme une sourde. Un pan de mur éclate. Puis deux, puis trois, la glaise se met à fuir de partout. Une glaise rouge, vive, boueuse, qui se répand sur le chemin. Des flashs de lumière saisissent le ciel. On s’aperçoit que la glaise charrie des pierres, des œufs, des bêtes, des gens auxquels on n’avait jamais pensé, mais qui visiblement étaient là, dans la terre. C’est sans fin, toute la colline est en train de se déliter. Les pins, les chênes perdent prise et se renversent les uns après les autres. Leurs énormes racines palpitent dans l’air. La maison, la Chapelle de Saint-Joseph, la Vierge, toutes les constructions se renversent. Elles sont couchées sur le flanc et se laissent glisser dans la vallée. Un éclair traverse le ciel. Il le traverse avec une lenteur infinie. On dirait qu’il le retient. Il n’y a plus de coulée de boue, plus de colline, plus de montagne, il n’y plus que cet arc électrique qui irradie la nuit mauve. C’est une véritable attraction, les gens viennent de loin, ils ont pris la voiture, ils ont mis des lunettes de soleil. Il y a des collectionneurs, des critiques, je me dis bon au moins ils ont fait le déplacement. Mais l’éclair commence à pâlir. Et la foule continue d’affluer. J’ai l’impression d’avoir déjà vécu ce moment. Tu me prends par la main. Tu me dis quelque chose que je ne comprends pas littéralement mais dont je devine le sens : tout bouge, et rien n’est immuable. Tu me dis de ne pas avoir peur, de ne pas avoir honte. Tu me dis qu’il n’y a rien à effacer, rien à cacher. Il n’y a qu’une seule histoire qui s’écrit, et il y a longtemps qu’elle a commencé de s’écrire. Dès l’instant où tu es venu ici, elle s’écrivait, sous les petits cailloux. Nous parlons beaucoup, nous n’arrêtons pas de parler, et plutôt que de nous épuiser, c’est comme de se ressourcer.
Je me réveille avec la lumière du soleil. La rumeur de l’A8, au loin, et les premiers oiseaux. Je reste un moment devant le miroir. Je me trouve un peu moins vieux. Dans la cuisine le café est en train de couler. Je ne suis pas le premier. Paul est dehors enveloppé dans un drap, il noircit ses petits carnets. Pierre est déjà remonté dans sa chambre. Anne, je suppose, a les mains dans la terre. Je sors sur la terrasse, l’air est frais. Les brumes n’ont pas fini de se dissiper. Elles y vont très lentement, comme un dernier bras de mer, au creux de la vallée. Je me rappelle l’analogie de Walter Benjamin sur la mer et le subconscient : lorsqu’ils se retirent, les rêves laissent sur le sable des coquillages… Penser à lire ce livre. Je me rends compte que je parle tout haut. Est-ce que Pali a laissé tourner ses micros ? Une porte s’ouvre. Chen-Kang sort de la cuisine avec du papier de soie. Il prend le chemin de son atelier. À l’autre bout apparaît Clémentine. Elle rentre à la maison, son caméscope à la main. Certains de ces artistes avaient peu de chance de se côtoyer un jour. Il y a pourtant quelque chose qui les lie, quand ils vont et viennent dans la colline. Une attention particulière, portée à un phénomène qui m’échappe, mais qui demeure présent, parmi nous. Je me dis qu’ils veillent là-dessus, sur ce présent. Dans deux semaines, il s’agira de l’ouvrir. Aujourd’hui, nous sommes à mi-chemin.
Romain Pierre, curateur.
Paul Gaillard
UNE VIE COMMUNE
Objets
Paul Gaillard vit à Cametours, dans la Manche. Il est acteur, auteur, cinéaste et plasticien. Où qu’il se
déplace, dans les villes, les campagnes, il porte son regard sur ce qui paraît abandonné,
en déclin. Ces objets cherchés, il les recueille, les étiquette, et en tire des histoires qui
nourrissent ses œuvres. Depuis peu, il parle de remédiation – mot qu’il a découvert
en jouant le Yi King, et qu’il entend comme une manière de redonner de l’espace aux
choses qui en étaient privées, pour les re-présenter au monde. Dans la colline, il a découvert une décharge
sauvage, détritus d’une maison et d’un atelier. Maintenant, et pour trois jours, ces
objets sont le vocable d’une nouvelle écriture, sèche, brute, qui croise les genres et
opère des rencontres.
UNE VIE COMMUNE
Objets
Anne Larouzé
TOUT DOIT DISPARAÎTRE...
Interventions in situ
Anne Larouzé vit et travaille entre Marseille et la Tuilerie Bossy de Gardanne. Depuis
2014, elle manie l’argile dans des projets d’art et de design d’objet avec une appétence
pour les installations in-situ et les croisements disciplinaires. Depuis peu, elle ouvre le champ de son travail à d’autres médiums. Abordant cette résidence
comme une page blanche, elle a longuement arpenté la colline, prêtant attention aux
roches, aux arbres, aux édifices, à l’écoute de l’ensemble des mouvements qui ont ici
laissé leurs empreintes et qui, discrètement, sont à l’œuvre. Tout doit disparaître… est
une série de trois interventions (le mot, pour elle, a son importance), qui peuvent se lire
comme une réflexion sur l’érosion, le passage du temps sur les matières et les mémoires.
TOUT DOIT DISPARAÎTRE...
Interventions in situ
Clémentine Schmidt
FORAGE - 1
Installation vidéo
Diplômée de l’ESAD de Reims et de la Design Academy d’Eindhoven, Clémentine
Schmidt est vidéaste, créatrice sonore et autrice. À Rotterdam, où elle vit depuis six ans,
elle explore les relations qui nous lient à nos environnements visuels et nos paysages
intérieurs. Arrivant au domaine Saint-Joseph, c’est le sentiment d’un temps particulier,
comme suspendu, qui l’a émue. Elle s’est longuement imprégnée de ce sentiment,
captant partout et à toute heure des images et des sons, qu’elle a ensuite ressassés,
re-captés, remodelés… Comme si c’était le temps lui-même qu’elle travaillait, qu’elle
étirait, afin d’y pouvoir mieux entrer. Clémentine pense à ces édifices religieux, où,
dans l’épreuve du temps, ne demeurent que les images qu’on projette. La sienne est la
trace d’un échange.
FORAGE - 1
Installation vidéo
Pali Meursault
FORÊT DES ONDES # 1
Installation d’écoute
Basé à Grenoble, Pali Meursault est artiste sonore. Quelle que soit la forme visée, sa
recherche s’appuie sur l’enregistrement de terrain, et prête attention à l’imperceptible
pour révéler en creux les sujets politiques et environnementaux qui conditionnent
nos relations aux espaces. Dans celui-ci qui semble en retrait du monde, il a utilisé
un pin comme antenne naturelle – la montée de sève jouant le rôle de conducteur
électrique – capable d’intercepter les ondes générées par des évènements ayant lieu
aux confins du globe. Prévue pour être déclinée sur plusieurs essences d’arbres et dans
plusieurs pays, Forêt des ondes se veut dans le temps long une approche de l’écologie
électromagnétique, mais aussi une aventure de l’écoute, où des sons qui s’apparentent
à du parasitage, d’infimes nuances, peuvent devenir évènements et paysages.
FORÊT DES ONDES # 1
Installation d’écoute
Chen-Kang Wang
CHANSON DE PAPILLON
Performance / récit
Diplômé de l’École supérieure d’art d’Aix-en-Provence, Chen-Kang Wang rédige actuellement à l’EHESS un mémoire sur l’état
mental d’exil intérieur. Un état qu’il associe à l’impossibilité de s’exprimer, et dont il cherche
l’issue à la lisière de la littérature et de la performance. La résidence a été l’occasion de
mettre sa recherche à l’épreuve, car, face aux nombreuses fictions qui sédimentent le
domaine, il a questionné la place de sa parole et son pouvoir d’action. Et puis, avec un poème
et des papillons en papier – à Taïwan, les papillons nous relient aux morts – il a ouvert le
champ d’une rencontre. Comme souvent dans son travail, Chanson de papillon creuse le
dépaysement. C’est dans cette réalité troublée, entre le sens des mots et le sens des gestes,
qu’il cherche un passage. Un passage que l’on pourrait emprunter ensemble, pour réveiller
une image enfouie. Un paysage coupé de tout, mais non de soi.
CHANSON DE PAPILLON
Performance / récit
Pierre Ducrozet
INTÉRIEUR JOUR
Pièce sonore
Pierre Ducrozet vit à Barcelone. Il est l’auteur de six romans, dont L’invention des corps
(prix de Flore), Le grand vertige (prix Mottart) et Variations de Paul. Inspiré par le silence et
la force méditative des lieux, il a profité de la résidence pour se lancer dans l’écriture d’un
récit introspectif : Autoportrait sans moi. Il a marché aussi, beaucoup. Et les paysages,
peu à peu, ont fait des jeux d’ombres sur ses souvenirs. La maison de l’enfance, la mer
pas si loin, la promesse de l’été, la lumière éclatante... Poursuivant le dialogue, Pierre a
enregistré plusieurs fragments de textes, et a choisi de les faire résonner dans la grotte,
là-haut, où les religieux se retiraient autrefois en ermitage. Se retirer, lui aussi. Laisser
tourner les mots à l’intérieur, dans l’obscurité. Et voir la lumière qu’ils révèlent.
INTÉRIEUR JOUR
Pièce sonore